Ronan Journoud Avocats

Régulation des cryptomonnaies: la SEC siffle la fin de la partie

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Le gendarme financier américain (la « SEC ») fait actuellement feu de tout bois pour réguler les cryptomonnaies en lui appliquant l’exigeante régulation financière des valeurs mobilières. Et il semblerait qu’il soit bien décidé à prendre des mesures fermes à l’encontre du secteur.

En effet, les récentes actions de la SEC contre les principales bourses de cryptomonnaies laissent entendre que l’agence a décidé que le temps était venu de remettre en question le fonctionnement actuel de l’industrie des cryptomonnaies aux États-Unis.

Une réglementation américaine exigeante sur les valeurs mobilières…

Toute entreprise souhaitant offrir au public des actifs considérés comme des valeurs mobilières doit être enregistrée auprès de la SEC, que ce soit en tant que bourse (mettant en relation acheteurs et vendeurs), courtier (négociant d’actifs pour le compte d’autres personnes) ou chambre de compensation (facilitant le règlement des transactions).

Cet enregistrement est long et couteux car obtenir ce sésame demande parfois plusieurs années de procédure et peut coûter au demandeur plusieurs millions de dollars.

Mais, sur quels critères au juste la SEC se base pour considérer que la transaction considérée est une « valeur mobilière » ? Sur le « test de Howey ».

Le test de Howey tire son nom de l’affaire SEC c. WJ Howey Co., qui a été portée devant la Cour suprême en 1946. Dans cette affaire, la société Howey vendait aux Etats-Unis des parcelles de plantations d’agrumes à des investisseurs, souvent non professionnels. Ces derniers louaient ensuite ces parcelles à la société Howey, qui se chargeait à travers ses propres employés de s’occuper des cultures et vendre les fruits en leur nom. Les profits étaient ensuite partagés entre les deux parties.

La SEC a poursuivi la société Howey au motif qu’elle n’avait pas enregistré ces transactions auprès du régulateur financier. La décision finale de la Cour a établi que les contrats de location-vente constituaient des contrats d’investissement, sur la base de trois critères. En effet, selon la Cour, un contrat d’investissement existe lorsqu’il y a « un investissement d’argent dans une entreprise commune avec une attente raisonnable de bénéfices provenant des efforts d’autrui ».

… qui pourrait s’appliquer aux cryptomonnaies

La SEC considère que les cryptomonnaies peuvent être des securities

Or, en matière de cryptomonnaies, il n’était pas clair jusqu’à présent si elles pouvaient remplir les critères de contrat d’investissement, et si oui quelles cryptomonnaies étaient concernées.

Au vu des développement récents, il est désormais possible de dire que selon la SEC la plupart des cryptomonnaies sont considérées comme des valeurs mobilières. En effet, la SEC a dévoilé une première liste d’une trentaine de cryptomonnaies qu’elle considère comme tel et qui n’étaient pas enregistrées.

Ainsi, après avoir encouragé pendant des années les acteurs de l’industrie à s’enregistrer, la SEC a clairement indiqué, en s’attaquant à certains des acteurs majeurs du secteur, qu’elle n’avait pas l’intention de tolérer la négociation de cryptomonnaies non enregistrées aux États-Unis, du moins en ce qui concerne les investisseurs particuliers lorsque les jetons sont considérés comme des valeurs mobilières (ou « Securities »).

En effet, la SEC a déclaré il y a quelques semaines qu’elle poursuivait Binance US pour violation des lois fédérales sur les valeurs mobilières. Un jour plus tard, elle a poursuivi sa rivale Coinbase pour des accusations similaires. Des poursuites futures concernant les autres acteurs sont attendues (Kraken, crypto.com, etc.).

Or, à ce jour, aucune cryptomonnaie n’est enregistrée en tant que valeur mobilière aux Etats-Unis.

S’il était possible de considérer jusqu’à présent que l’absence de poursuite de la SEC était dû à sa volonté de ne pas entraver l’innovation inhérente au secteur et ne pas pénaliser les investisseurs particuliers, le doute n’est désormais plus permis. L’humiliation vécue par la SEC dans le cadre de la faillite de FTX fin 2022 n’y est probablement pas étrangère.

Riposte des acteurs américains

Néanmoins, les acteurs visés par la SEC semblent bien décidés à se défendre énergiquement.

Selon Coinbase, même si les cryptomonnaies ou les jetons peuvent avoir été considérés comme faisant partie d’une offre de valeurs mobilières lors de leur vente initiale au public, ils ne sont plus que des jetons, et non des valeurs mobilières, une fois qu’ils sont négociés sur la plateforme. En effet, selon eux les cryptomonnaies échangées sur la plateforme ne donnent pas aux traders le droit de bénéficier des profits d’une entreprise sous-jacente à ce stade ; ils ne sont que des instruments d’utilité et n’ont de valeur qu’en tant qu’actifs.

Il sera intéressant de suivre les développements de l’affaire afin de voir si cet argument prospère. Dans la mesure où de telles actions de la SEC pourrait porter gravement atteinte à la compétitivité du marché américain, le Congrès pourrait légiférer pour modifier la loi en adoptant une réglementation spécifique aux cryptomonnaies.

En effet, selon la banque JPMorgan ces poursuites judiciaires contre Binance et Coinbase soulignent la nécessité pour les législateurs américains de trouver un cadre global sur la façon de réglementer l’industrie des cryptomonnaies et déterminer si ces dernières devraient tomber sous sa supervision.

Par conséquent, l’adoption d’un cadre réglementaire complet comme en Europe commence à sonner comme une urgence de l’autre côté de l’atlantique, au risque de voir l’activité du secteur se déplacer en dehors de leur juridiction.

La France et l’Europe comme terre d’accueil de l’industrie des cryptomonnaies ?

Plus que jamais, cela confirme qu’il est crucial pour la France et l’Europe, que ce soit en termes de développement économique et de souveraineté, de mettre en œuvre tous les outils pour être au cœur du développement de ces technologies dans le futur en adoptant un cadre proportionné et adapté, tout en assurant une protection aux investisseurs.

Or, depuis de nombreuses années, la France a été active et pionnière dans la régulation des cryptomonnaies.

Ainsi, la loi dite « Pacte » du 22 Juillet 2019 est venue encadrer ces services en proposant une définition des actifs numériques et en créant la catégorie de « prestataires de service sur actifs numériques ». Puis, l’ordonnance n°2020-1544 du 9 décembre 2020 est venue renforcer le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme pour les actifs numériques. En parallèle, la loi de finances pour 2019 a créé un régime fiscal très favorable sur les plus-values sur actifs numériques réalisées par les particuliers, prévoyant l’absence d’imposition tant qu’aucune conversion en valeur monétaire n’intervient.

Enfin, récemment la France a participé à mettre en place un cadre réglementaire harmonisé au niveau de l’UE pour les cryptomonnaies. En effet, le règlement européen dit « MiCA » a été adopté par le Parlement européen jeudi 20 avril 2023 et vise à encadrer les cryptoactifs qui ne relèvent pas des règlementations européennes existantes en matière d’instruments et produits financiers. Il couvre à la fois l’offre et l’admission aux négociations de cryptoactifs, y compris de « stablecoins », et la fourniture de services sur ces crypto-actifs via notamment la mise en place d’un agrément obligatoire. Les jetons non fongibles (NFT) et les services sur crypto-actifs décentralisés sont exclus du champ d’application du règlement MiCA à ce stade dans l’attente de la mise en place d’un régime spécifique dans le futur.

Conclusion

Une régulation assumée et adaptée de l’écosystème des cryptoactifs doit être saluée pour deux raisons.

Tout d’abord, elle permet d’apporter une sécurité juridique qui fait toujours cruellement défaut aux acteurs économiques actuels. Enfin, elle contribue à atténuer le déficit de confiance que certains événements récents ont installé.

Cependant, la route est encore longue et semée d’embûches pour faire de notre place de droit française et européenne un cadre sécurisé et propice à l’innovation. En effet, s’il est nécessaire que le secteur des cryptoactifs soit régulé, la régulation ne doit pas aboutir à porter atteinte à l’innovation par l’adoption de règles inadaptées et trop lourdes pour les start-ups et les entrepreneurs. Par ailleurs, la mise en œuvre futures par les institutions publiques des textes adoptés aujourd’hui devra être suivie avec attention.

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