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Les domaines de l’art, de la mode et du jeu n’ont pas attendu les jetons non fongibles (ou « NFT ») pour être familier avec la dématérialisation de la propriété intellectuelle (oeuvre de l’esprit, signe, invention, etc.).
Cependant, l’arrivée des NFT en propriété intellectuelle introduit un nouveau paradigme : la tokénisation des actifs. La propriété intellectuelle existe en dehors de tout processus de tokénisation. Cependant, la mise en circulation de l’œuvre sur un support dématérialisé accompagné d’un NFT peut avoir une incidence sur l’exploitation des droits.
Ainsi, comment s’articule l’existence et la cession des droits de propriété intellectuelles lors de l’achat d’un NFT ? Tentons d’apporter des éléments de réponse dans cet article avant l’adoption de textes apportant une clarification bienvenue.
Table des matières
ToggleIntroduction
Un NFT est la déclinaison de trois éléments
Le NFT inclut trois éléments. Le jeton lui-même, le smart contract qui le crée, et les métadonnées qui lui sont associées.
Le premier élément est l’ensemble des métadonnées qui permettront au jeton d’avoir des propriétés propres et spécifiques. Il s’agit par exemple du nom, de la description, de l’image. Ces métadonnées sont stockées à l’extérieur de la blockchain dans un espace de stockage distribué ou centralisé. Il possède alors une URL HTTP ou IPFS.
Les deuxième et troisième éléments sont liés à l’opération d’inscription (ou mintage) du NFT dans la blockchain (tokenisation). Le deuxième élément est le smart contract. C’est un programme informatique autoexécutant permettant de déployer le NFT sur la blockchain. Le troisième élément est le jeton. Il est une empreinte alphanumérique et cryptographique (hash) obtenu grâce à une fonction de hachage (par exemple SHA 256). Il s’agit par exemple d’une empreinte telle que celle-ci : 5c905f2f9ad289a5f6f2ecf695de23afd11c0cb5909dc5e55d429c28bf52ebc1.
Les NFT se caractérisent par leur rareté
L’élément le plus fondamental dans ce processus est le caractère unique conféré au NFT grâce à ces trois éléments. C’est ce qui explique l’essor extraordinaire des NFT tout au long des dernières années. En effet, l’empreinte alphanumérique et cryptographique inscrite sur une blockchain confère au NFT une caractéristique essentielle. Il s’agit de la rareté faisant de lui un bien incorporel unique. Cette caractéristique introduit une rupture majeure avec la faculté de reproduire de manière illimitée des biens incorporels sur internet. En effet, jusqu’à présent ces opérations étaient courantes par un simple copier-coller, l’impression d’écran d’une image ou l’enregistrement d’une vidéo existante par exemple.
Il est donc possible de résumer l’opération d’achat d’un NFT comme ceci. Il s’agit de l’acquisition d’un bien incorporel, le « jeton », permettant l’accès à l’oeuvre numérique stockée hors de la blockchain et accessible via l’URL figurant dans le smart contract.
Mais alors, comment s’articule l’existence et la cession des droits de propriété intellectuelles lors de l’achat d’un NFT ?
En matière de propriété intellectuelle, il est fondamental de distinguer deux points. (i) L’oeuvre de l’esprit (droit d’auteur et droit des marques) doit être clairement séparée du (ii) support, dématérialisé ici, des créations. En effet, la propriété incorporelle est indépendante de la propriété du support. Ainsi, juridiquement, le NFT ne se confond pas avec le support dématérialisé servant de réceptacle à la création immatérielle.
Quels sont juridiquement les conséquences de la tokénisation sur les droits de propriété intellectuelle ?
Comme indiqué ci-dessus, la tokénisation a peu d’impact sur la création des droits de propriété intellectuelle. Cependant, les caractéristiques nouvelles des NFT peuvent avoir indubitablement des incidences sur l’exploitation des droits lors de la circulation de l’oeuvre sur le support dématérialisé accompagnée d’un NFT.
La propriété intellectuelle existe indépendamment du NFT
La création sera protégée par le droit d’auteur seulement si elle répond aux conditions de protection de ce droit. En effet, la propriété intellectuelle existe en dehors de tout processus de tokénisation. La protection par le droit des marques quant à elle passera par le dépôt de la demande de marque.
Les nombreuses collections de personnages numériques (CryptoPunks, Cryptokitties, The Bored Ape Yacht club, etc.) en sont un bon exemple. La qualification d’œuvre de l’esprit devra être étudiée au cas par cas. Elle dépendra de caractéristiques de chaque espèce conformément aux principes traditionnels de la propriété intellectuelle. Il est en effet sans incidence que les objets numériques sont exploitées sous forme de NFT ou non.
D’ailleurs, et c’est le cas le plus courant, les droits de propriété intellectuelle existent avant même la création du NFT. L’inverse ne se produira que dans des cas exceptionnels où la vente du NFT interviendrait avant la création artistique. Par exemple, lors de la vente d’un NFT donnant accès à la création d’une oeuvre ultérieure. La valeur du NFT n’a aucune incidence sur la qualification d’oeuvre de l’esprit du Code de la propriété intellectuelle.
L’exercice des droits est majoritairement indépendant du NFT
En effet, la tokenisation n’emporte pas cession des droits de propriété intellectuelle. L’automatisation par le smart contract ne se substitue pas à l’acte de cession. Ce dernier doit respecter le formalisme du droit d’auteur.
Les droits exclusifs de propriété intellectuelle sont appréciés en considération du sous-jacent. La programmation du NFT n’a pas d’impact sur (i) l’œuvre de l’esprit en droit d’auteur et (ii) le signe enregistré pour la marque. Ainsi, par exemple, le « burn » consistant à détruire ou « bruler » un NFT pour réduire le nombre d’exemplaires n’a pas d’incidence sur l’exercice des droits de propriété intellectuelle. Il ne peut notamment pas être qualifiée d’atteinte au droit de divulgation de l’auteur.
L’impact du NFT sur l’exercice de certains droits
Pour rappel, le NFT est un bien incorporel accessoire au support dématérialisé de l’œuvre de l’esprit ou du signe. En droit d’auteur, le support immatériel (ou même matériel) de l’oeuvre de l’esprit a un impact sur trois prérogatives fondamentales. Il s’agit de (i) l’épuisement des droits, (ii) le droit de représentation et enfin (iii) le droit de suite.
L’épuisement des droits de propriété intellectuelle
L’épuisement des droits de propriété intellectuelle s’apprécie au regard de la mise en circulation du support dématérialisé. Le fait que ce support soit associé à un NFT n’a aucune incidence.
Cet épuisement affecte le droit de distribution. Il peut être défini comme « le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles-ci », étant précisé que ce droit « n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement ». Est-ce que la mise en circulation du support dématérialisé d’une oeuvre de l’esprit auxquels sont attachés accessoirement un NFT est concerné par cet épuisement ? Il convient d’attendre une interprétation des juges en ce sens. Cependant, le caractère numérique du sous-jacent le rapprocherait de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, § 2, de la directive 2009/24/CE.
Le droit de représentation
Le droit de représentation permet à l’auteur de s’opposer aux communications au public non autorisées de sa création. Il peut, au contraire, autoriser cette communication en échange d’une rémunération.
La question qui se pose ici est la suivante : la communication des métadonnées par l’intermédiaire d’un smart contract peut-elle s’analyser comme un acte de communication au public ? En effet, le smart contract contient une fonction (tokenURI) qui permet de retourner l’URL des métadonnées contenues à l’extérieur de la blockchain. Est-ce considéré omme un hyperlien ? Il permet de voir apparaître sur une place de marché l’image associée au jeton déployé sur la blockchain grâce au smart contract. Conformément à la jurisprudence, la place de marché (OpenSea par exemple) qui inclurait les images des œuvres pour vendre les NFT, alors que ces œuvres sont mises à la disposition du public sur un autre site en libre accès avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur et à condition qu’elles n’atteignent pas un public nouveau, ne constituerait pas une communication en ligne.
Le droit de suite
Le droit de suite est la rémunération dont bénéficient les auteurs d’œuvres originales graphiques et plastiques lors des reventes de leurs œuvres au cours desquelles intervient un professionnel du marché de l’art. Ce droit est dans les faits déjà mis en place. Lors du « mint » du NFT sur une plateforme, il est possible de prévoir un pourcentage de rémunération (généralement de 10% maximum) qui bénéficiera à l’auteur lors de chaque cession. Juridiquement, il faut, pour que cette programmation assure la mise en œuvre du droit de suite, que le nombre d’exemplaires mis en circulation corresponde aux exigences du Code de la propriété intellectuelle et que les ventes soient supérieures à 750 €.
Quels sont les opportunités et les défis posés à la propriété intellectuelle par les NFT ?
Les opportunités offertes par les NFT à la propriété intellectuelle
L’une des fonctionnalités majeures de la blockchain, c’est de permettre une traçabilité des transactions grâce à sa fonction de registre de manière totalement décentralisée. Quant à l’intérêt de la propriété intellectuelle, c’est de rendre unique le support dématérialisé d’une œuvre de l’esprit ou d’un signe. La combinaison de ces deux technologies offre des synergies évidentes. En effet, il est possible de tracer les objets matériels sur lesquels est apposé un droit de propriété intellectuelle ce qui permettra notamment de contrôler la circulation des produits et lutter contre la contrefaçon.
La décentralisation de la blockchain rebat aussi les cartes concernant le partage de valeur entre acteurs du marché de l’art. Les artistes créateurs en seront les premiers bénéficiaires dans un monde traditionnel où ils ne ramassent que les miettes d’un gâteau partagé par les marchands d’art et les galeries. Le métaverse et la tokénisation de leurs oeuvres leur permettra de reprendre le contrôle et fortifier leur position jusqu’ici très inconfortable envers ces derniers. Le droit d’auteur et le droit des marques sont des droits stratégiques dans cette économie de l’immatériel.
Enfin, les nouvelles technologies (blockchain, NFT, métaverse, etc.) leur permettront de renouveler les courants artistiques en proposant des expériences nouvelles.
Les défis des NFT en propriété intellectuelle
Dans un certain nombre de cas, bien au contraire, la tokenisation porte atteinte à un droit de propriété intellectuelle.
Tout d’abord, ce sera le cas lors de l’utilisation d’images sans le consentement des artistes. Cette utilisation prend souvent la forme d’une reproduction de leurs œuvres et leur commercialisation sur une place de marché.
Par ailleurs, la commercialisation de NFT dont les droits de propriété intellectuelle de l’oeuvre sous jacente auraient déjà été cédés (e.g. à une société de production de films) auparavant est illégale. Il a déjà été jugé comme tel la vente de NFT relatifs à des scènes cultes d’un film sans l’accord préalable de la société de production titulaires de ces droits de propriété intellectuelle. La contrefaçon de droits d’auteur est constituée ici par la communication sans l’autorisation de la société de production de scènes originales d’un film à un autre public.
Enfin, la dernière illustration est issue de l’utilisation de signes distinctifs sans le consentement du titulaire du droit des marques. Cela a été illustré par la célèbre affaire MetaBirkin. La collection représentait sous la forme numérique des sacs en fourrure nommés « MetaBirkin » et « Baby Birkin ». Comme son nom l’indique, cette collection numérique a été très largement inspirée du sac « Birkin » commercialisé par Hermès. Inutile de préciser que Hermès n’avait pas donné son autorisation à la réalisation de cette collection. Hermès a obtenu le retrait de la collection sur OpenSea. Cependant, une action en justice est actuellement toujours en cours aux États-Unis. En droit français, une action aurait été intentée pour atteinte au droit des marques et sur l’atteinte au droit d’auteur.
Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions concernant la gestion de la propriété intellectuelle attachée à vos NFT.