Ronan Journoud Avocats

Blockchain, Crypto, Web 3 : point sur la régulation en 2023

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La France est considérée à l’échelle mondiale comme une pionnière dans le domaine des actifs numériques, dans la mesure où depuis l’adoption de la loi Pacte en 2019, elle est l’un des premiers pays à définir la notion d’actif numérique et réglementer certains de ses usages.

Un régime ad hoc pour les actifs numériques « utilitaires »

Définition

Introduit à l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier, la définition des actifs numériques comprend:

1° Les jetons mentionnés à l’article L. 552-2, c’est-à-dire:

« tout bien incorporel…

… représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits…

… pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » ;

2° Toute représentation numérique d’une valeur… :

… qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique

… qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie… ;

mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange

… et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement.

Champ d’application du régime PSAN

La loi Pacte a introduit un régime encadrant les offres initiales de jetons (ICO) et l’activité des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) en France. Selon le Code monétaire et financier, les prestataires souhaitant fournir certains services doivent solliciter obligatoirement un enregistrement ou un agrément PSAN auprès de l’AMF:

  • services de conservation d’actifs numériques ; et/ou
  • services d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ; et/ou
  • services d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ; et/ou
  • services l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques,

L’AMF examine les demandes d’enregistrement et vérifie que les PSAN respectent les obligations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et le gel des avoirs prévues par le Code monétaire et financier.

Au 11 mai 2023, 71 PSAN ont été enregistrés par l’AMF, et 0 agréés.

Obtenir un agrément permet pour son bénéficiaire de réaliser de la publicité en ligne et de se prévaloir d’une solidité financière accrue auprès de ses clients. Cependant, aucun agrément n’a été délivré par l’AMF, les acteurs de l’écosystème se contentant volontiers d’un simple enregistrement, bien moins exigeant au niveau financier et de procédures internes (fonds propres minimum, assurance responsabilité civile, etc.).

L’assimilation des actifs numériques « financiers » à la réglementation financière déjà existante

Cependant, son exclus du régime mentionné ci-dessus, et donc de la notion « d’actif numérique », ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l’article L. 211-1 (i.e. les titres financiers comme les actions, titres de créance, les contrats financiers à terme et les bons de caisse).

Ces actifs numériques financiers sont exclus de la nécessité d’obtenir un PSAN. Typiquement, la « tokenisation » de biens immobiliers ou d’actions d’entreprise entrerait dans cette catégorie.

En France, les Security Token Offerings (STO) sont fortement réglementés et soumis à la législation relative aux offres au public de titres financiers (prospectus) similaire à celle des Initial Public Offerings (IPO), ainsi qu’à la directive européenne MIF2 du 15 mai 2014. Cela signifie que les STO doivent être obligatoirement enregistrés auprès de l’AMF et suivre une procédure de vérification des informations.

Toutefois, selon l’article 211-2 du Règlement Général de l’AMF, il existe une exception : lorsque le montant total d’une offre de titres financiers ne dépasse pas 8 millions d’euros dans l’Union européenne, cette offre n’est pas considérée comme une offre au public soumise à la législation sur les prospectus.

Un régime fiscal novateur et avantageux pour les particuliers

Les plus-values perçus par les particuliers sont imposées selon les modalités suivantes  :

  • lorsqu’elles proviennent de la gestion de leur patrimoine financier :
    • (i) au taux forfaitaire de 30% (impôt sur le revenu de 12,8% et prélèvements sociaux de 17,2%)  pour les non-professionnels ; ou
    • (ii) au barème progressif de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux pour les professionnels (impôt sur le revenu au taux marginal de 45% au-delà de 160 336€  et prélèvements sociaux )
  • lorsqu’elles proviennent de bénéfices provenant de l’exercice d’une profession commerciale  ou libérale au barème progressif de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux.
  • autres revenus (minage, masternodes, staking, DAO) sont imposés selon le régime des bénéfices non commerciaux.

L’originalité du système fiscal français, est d’avoir prévu pour les particuliers un « sursis d’imposition », ce qui signifie que les plus-values générées par l’échange de cryptomonnaies contre d’autres cryptomonnaies (sauf actifs numériques « financiers » mentionnés ci-dessus) ne génère pas d’évènement imposable.

Des incertitudes demeurent cependant pour l’imposition du « staking » et des « airdrop ».

En effet, la fiscalité des gains de staking est actuellement soumise à l’interprétation. En théorie, le staking résulte de la même logique que le « minage », c’est à dire que le contribuable ne génère pas une plus-value, mais perçoit une rémunération en contrepartie du service qu’il rend (i.e. l’immobilisation de cryptomonnaies pour sécuriser le réseau). Par conséquent, les gains générés en contrepartie de cette activité devraient être imposés dans la catégorie des BNC, ce qui signifie qu’aucun sursis d’imposition ne pourra s’appliquer.

En pratique, l’imposition dans la catégorie des BNC est quasiment impossible à appliquer pour les contribuables, en raison de la volatilité des actifs numériques et des rémunérations souvent journalières reçues. Par conséquent, l’écrasante majorité des contribuables préfèrent inclure les gains de staking à la valeur globale de votre portefeuille et considérer qu’ils ont été acquis à un prix nul, comme s’il s’agissait d’un gain perçu à titre gratuit.

Un régime juridique ad hoc à imaginer pour les NFTs

Contexte

Le développement et la démocratisation du marché des NFTs soulèvent de nombreuses difficultés juridiques et fiscales pour les utilisateurs.

En 2023, il n’existe aucune réglementation juridique spécifique aux NFT, étant donné qu’ils couvrent différentes hypothèses d’application, plusieurs qualifications juridiques des NFT ont été suggérées.

En effet, un NFT est un titre de propriété n’ayant aucune valeur en lui-même. Il peut être décrit comme « l’outil technique de la création d’un support numérique de l’œuvre, qui permettra grâce à ses fonctionnalités de l’émettre, de l’inscrire, de le conserver ou de le transférer » sur la blockchain de manière dématérialisée (Amélie Favreau). Cependant, en l’absence de consécration légale, il n’est pas possible d’admettre que le NFT représente un droit se transmettant avec lui.

Difficulté de rattachement à un régime existant

La tentation est grande de les assimiler à des actifs numériques « utilitaires », bien qu’il ne s’agisse pas de biens nouveaux dans la mesure où ils sont liés à un sous-jacent qui en commande le régime. Dans ce cas, les particuliers pourraient bénéficier du régime fiscal du taux forfaitaire de 30% avec sursis d’imposition.

Cependant, certains peuvent être aussi considérés comme des actifs numériques « financiers » (« security token ») si le propriétaire du NGT acquiert des droits financiers. Dans cette situation, aucun sursis d’imposition ne serait applicable, de sorte que la cession d’un NFT génèrerait immédiatement un évènement imposable.

Enfin, certains NFTs pourraient être considérés comme des œuvres d’art, et bénéficier du régime fiscal desdites œuvres d’arts, c’est à dire (i) une imposition au taux forfaitaire de 6,5% du prix de cession de l’œuvre ou (ii) un taux forfaitaire de 36,2% avec abattement de 5% par année pour durée de détention (exonération totale au bout de 22 ans). Bien qu’aucun sursis d’imposition ne soit applicable, les cessions inférieure à 5,000 euros sont exonérées. Cependant, les définitions juridiques d’œuvres d’art au sens du droit français ne devrait pas permettre d’inclure les NFTs à ce stade, de sorte qu’il faudra créer un régime ad hoc pour ces derniers et mettre à jour les définitions existantes.

Problématiques de propriété intellectuelle

Les NFTs soulèvent également des difficultés importantes en matière de droit de propriété intellectuelle.

Pour être considérées comme une « œuvre », la création doit être « originale » et « tangible » (fixée sur un support physique ou numérique), ce qui déclenchera l’application du droit d’auteur, qui signifie que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » (code de la propriété intellectuelle, art. L111-1).

En conséquent de quoi l’auteur de l’œuvre numérique associée à un NFT bénéficiera:

  • des prérogatives morales (droit de divulgation, droit à la paternité, droit au respect, droit de retrait et de repentir).
  • des prérogatives patrimoniales (droit de reproduction et de représentation, communication au public, droit de distribution).

Or, les NFTs ne font pas partie de la liste prévue à l’article L112-2 du code de la propriété intellectuelle, qui énumère les œuvres de l’esprit. Comme il ne s’agit pas d’une œuvre d’art, l’auteur de l’œuvre originale représentée par le NFT restera titulaire des droits d’auteurs sauf cession expresse de ces derniers, ce qui est rarement le cas.

Un droit français en passe d’être « européanisé »

Contexte

Le 10 octobre 2022, les textes MiCA (Markets in Crypto-Assets) et TFR (Transfer of Funds Regulation) ont été définitivement adoptés au sein de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Le Parlement européen a définitivement voté ce texte à la quasi unanimité le 20 avril 2023.

Ces deux textes ont pour objet d’implémenter un ensemble cohérent de règles dans l’Union européenne auxquelles devront se conformer certains acteurs proposant des services sur actifs numériques.

Le double objectifs poursuivit par leurs auteurs sont les suivants :

  • Rassurer les épargnants, et
  • Renforcer la sécurité de leurs investissements dans cette nouvelle classe d’actifs, régulièrement ciblée par des escrocs et pirates informatiques.

L’entrée en vigueur est prévue entre 12 et 18 mois après la publication de ces textes au Journal Officiel de l’Union Européenne, soit courant 2024.

Mesures de MiCa et TFR

Etablissement d’un agrément européen

Le statut de CASP (« Crypto Asset Service Providers ») au niveau européen est plus proche de l’agrément que de l’enregistrement PSAN en France, avec notamment l’obligation de disposer d’un niveau suffisant de fonds propres.

MiCA imposera aux courtiers et plateformes d’échange proposant des crypto-actifs de disposer de l’agrément CASP (“Crypto Asset Service Provider”), pour pouvoir exercer au sein de l’Union.

Instauration d’obligations environnementale

Les acteurs CASP devront détailler auprès de leurs clients l’empreinte environnementale des différents cryptoactifs.

Obligations de collecte et partage d’information sur les utilisateurs

Les CASP auront l’obligation de partager des informations sur le donneur d’ordre ainsi que sur le bénéficiaire du transfert d’avoirs cryptos:

  • pour le CASP du donneur d’ordre : le nom et le prénom de ce client, l’adresse de son portefeuille électronique, son numéro de compte client, son adresse postale, son numéro de passeport ou sa carte d’identité ;
  • pour le CASP du bénéficiaire de la transaction : le nom et prénom du bénéficiaire, l’adresse de son wallet, son numéro de compte. L’adresse du client et la pièce d’identité ne sont donc ici pas communiquées.

Si les CASP détectent une infraction, ils auront l’obligation de réaliser une dénonciation auprès des autorités, en l’occurrence le Tracfin en France.

Cette règle s’applique aussi aux transferts de fonds “traditionnels” via des banques, mais seulement pour les transactions d’au moins 1.000 euros, quand aucun seuil n’est fixé pour les crypto-actifs (lourdeurs administratives et coûts de mise en conformité).

Vérification de l’identité de propriétaires des « portefeuilles auto-hébergés »

Les transactions en direct (i.e. de pair-à-pair via portefeuilles électroniques à portefeuilles électroniques) ne font pas l’objet d’une obligation de collecte et de transmission d’information, ce qui ne serait pas réalisable en pratique.

Néanmoins, à partir du moment où un intermédiaire est impliqué, ce dernier devra obligatoirement vérifier plusieurs informations relatives aux détenteurs du portefeuille numérique, si le montant de la transaction est supérieur à 1.000 euros.

Encadrement des stablecoins et incertitudes sur la DeFi et les NFTs

Par ailleurs, les stablecoins algorithmiques ayant défrayé le chronique en 2022 avec l’affaire Terra Luna ne bénéficieront pas des exemptions accordées à la finance décentralisée. Les CASP auront l’interdiction d’accorder des intérêts sur les stablecoins de toute nature mais les serviecs de prêt dit « lending » seront explicitement autorisés par les textes à ce stade.

La finance décentralisée, qui désigne toutes les applications financières développées sur la technologie blockchain, tout comme les NFTs sont exclus de ce texte à ce stade.

L’émission par des acteurs européens de nouveaux stablecoins sera très encadrée et pourront faire l’objet d’un veto par la Banque centrale européenne.

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