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Une « ICO » (« initial coin offering ») est un type de financement par le recours aux cryptomonnaies. Il s’agit souvent d’une forme de crowdfunding, bien qu’une ICO privée qui ne recherche pas d’investissement public soit également possible. Lors d’une ICO, une certaine quantité de cryptomonnaies est vendue sous forme de « tokens » à des spéculateurs ou à des investisseurs. En échange d’une monnaie légale comme de l’euros ou d’autres cryptomonnaies.
Table des matières
ToggleQu’est-ce qu’une « ICO » ?
Une ICO peut être une source de capital pour les entreprises en phase de démarrage. Les ICO peuvent permettre aux startups d’éviter l’application de réglementations lourdes (comme les introductions en bourse traditionnelles, « IPO ») qui les empêchent de rechercher des investissements directement auprès du public et des intermédiaires tels que les investisseurs en capital-risque, les banques et les bourses d’échanges traditionnelles, qui peuvent exiger un examen plus approfondi.
Une ICO consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à des jetons, définis comme tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire de ce bien (C. mon. Fin. Art. L 552-2 et L 552-3).
Il convient de noter que ne constitue pas une ICO l’offre ouverte à la souscription par moins de 150 personnes agissant pour compte propre (C. mon. Fin. Art. L 552-3, al. 2).
Comment se réalise une « ICO » ?
- Etape 1: rédaction d’un « white paper » par le leveur de fonds (téléchargeable sur le site web de l’ICO). Il présente l’ensemble du projet aux investisseurs, et notamment (i) la structure juridique, (ii) le prix initial du token, (iii) les droits et garanties attachés aux tokens à émettre, (iv) la détermination du « soft cap » (palier en dessous duquel les investisseurs seront remboursés s’il n’est pas atteint à la fin de l’ICO), (v) l’identification des utilisateurs et (vi) le régime juridique et fiscal des tokens émis.
- Etape 2: mise en place d’un smart contract reprenant les termes du white paper sous forme de code informatique.
- Etape 3: transmission par le leveur de fonds des différents portefeuilles sur lesquels les investisseurs devront placer leurs cryptomonnaies pour souscrire à l’ICO.
- Etape 4: réception par les investisseurs des tokens via le programme informatique « smart contract ».
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Quels sont les avantages de recourir à une ICO plutôt qu’à une levée de fonds classique ?
Les avantages du recours à une ICO sont nombreux. Le principal étant de lever des fonds rapidement auprès d’une cible mondiale sans ouvrir son capital:
- S’affranchir du procédé légal long et contraignant d’une levée classique
- Absence d’intermédiaires couteux (bourse, banque, etc.)
- Possible d’initier une ICO très en amont avant même l’existence du produit ou prototype
- Financement de la recherche et développement pour des entreprises très jeunes qui généralement se voient fermées les portes du financement bancaire et du financement capital risque traditionnel, seuls les proches (friends & family) et les business angels acceptant de participer à ce niveau
- Générer un effet de réseau en impliquant les investisseurs qui auront intérêt à faire marcher le projet
- Possibilité de disposer d’une communauté de pré-utilisateurs avant même le lancement du service
- Lever des fonds sans faire entrer les investisseurs au capital
- Toucher une cible mondiale: les business angels et les friends & family classiques sont souvent dans un cercle géographique proche des fondateurs
Quels sont les risques et désavantages de recourir à une ICO plutôt qu’à une levée de fonds classique ?
Les porteurs de projet devront tout de même prendre en considération les éléments suivants avant de décider de recourir à une ICO:
- Volatilité des cryptomonnaies pouvant perdre fortement leur valeur en peu de temps
- Dissimulation de la provenance des fonds dû à l’anonymat
- Risque financier plus important pour l’investisseur, lié à l’absence de garanties et une exposition forte à des pratiques frauduleuses ou un risque technique (cyberattaques, etc.)
- Peu de droits dont disposent les porteurs de tokens (ni actionnaires, ni créanciers): ils assument un risque total sans qu’en contrepartie un droit leur soit attribué pour protéger leur investissement
Les étapes en pratique
Etape 1: définition et modalités du projet d’ICO
La première étape sera le choix de la forme juridique de la structure choisie par l’émetteur. La forme juridique est assez libre (SAS principalement). Certaines ICO peuvent être requalifiées en société créée de fait si aucune structure n’est créée. D’autres formes sociales peuvent être envisagées, comme la fiducie ou fondation. Pour cette dernière les implications fiscales de non lucrativité freine sa popularité.
Ensuite, en fonction de la localisation de l’émetteur, la loi française s’appliquera. La loi PACTE couvre les ICOs lancées par une personne française au projet de souscripteurs français. Il convient de noter que les projets étrangers souhaitant un visa doivent avoir un établissement en France à minima.
Dans la situation assez classique où les porteurs de projet peinent à trouver une banque pour ouvrir leur compte bancaire, ils doivent savoir qu’ils bénéficient du droit au compte bancaire (possibilité de saisir le banque de France dans le cadre du droit au compte). Cependant, dans la majorité des cas il est possible de recourir à certaines banques moins restrictives ou de trouver des solutions alternatives.
Enfin, le choix du token approprié sera un élément fondamental car le régime comptable et fiscal dépendra de ses caractéristiques. Les jetons sont définis comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien »:
- Le token financier conférant des droits similaires à ceux des titres financiers (droit de vote, droit sur les résultats de l’entreprise, etc.) assimilés comptablement et fiscalement à des instruments financiers classique.
- Le token d’usage ou utilitaire conférant à son détenteur un accès futur à la technologie ou au service à développer
Etape 2: analyse juridique et fiscale
Préparation du livre blanc ou « white paper »:
La préparation du livre blanc est une étape cruciale. Il déterminera en effet le régime fiscal de l’ICO et l’étendue des informations portées aux investisseurs potentiels, souvent des consommateurs très protégés par la loi française.
- Définition du livre blanc, « document destiné à donner toute information utile au public sur l’offre proposée et sur l’émetteur » (loi PACTE).
- Contenu du livre blanc, qui doit être « exact, clair et non trompeur et permettre de comprendre les risques afférents à l’offre »:
- Information sur l’émetteur (société, équipes, etc.)
- Information sur le projet (financement, phase du projet, but du projet, services proposés, technologie utilisée)
- Information sur le jeton (nature et droits attachés au jeton, utilisation, cotation sur les plateformes)
- Caractéristiques détaillées de l’offre (nom de jetons émis, conditions préférentielles d’attribution, dates et modalités de transmission, date d’utilisation probable du jeton, conditions de rachat si applicable, etc.)
- Les risques (du projet, de change en monnaie légale, etc.)
En pratique, les émetteurs se réfèrent au code de bonne conduit de la Crypto-Valley Association et au guide pratique suisse de la FINMA
Sanctions juridiques potentielles en cas d’information non suffisante ou claire
La rédaction d’un whitepaper complet est primordial car des sanctions sont potentiellement applicables en cas d’information non suffisante :
- Sanctions civiles
- Recours d’investisseurs sur un manquement à l’obligation précontractuelle d’information pouvant être sanctionnée par des dommages-intérêts (C. civ. Art. 1112-1).
- Recours d’investisseurs fondés sur le dol ou la réticence dolosive pouvant être sanctionnés par la nullité du contrat (C. civ. Art. 1137, 1139).
- Sanctions civiles cumulables avec les sanctions du droit de la consommation: amende de 3 000 euros pour une personne physique ou 15 000 euros pour une personne morale en cas de manquement à une obligation précontractuelle d’information envers les souscripteurs personnes physiques qui agissent à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leur activité commerciale (C. consom. Art. L. 111-1, L. 111-6).
Etape 3: réalisation de l’ICO
L’ICO sera réalisée via le smart contract qui sera construit par les équipes techniques sur la base des informations détaillées contenues dans le whitepaper. Les porteurs de projet ne devront pas négliger les obligations de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ils devront également respecter d’autres obligations (mentions légales, conditions générales de services, politique de confidentialité, etc.), sous peine de sanctions.
Le « smart contract »
Le « smart contract » peut être défini comme un « programme informatique qui exécute automatiquement des conditions définies au préalable et inscrites dans une Blockchain, l’exécution et le bon déroulement du contrat étant sécurisés grâce au consensus du réseau distribué ».
Les questions nécessaires à se poser pour les porteurs de projet sont les suivantes. Elles devront normalement avoir été définies dans le whitepaper:
- Le nombre de jetons à émettre lors de l’ICO
- Les modalités de transfert des jetons (libres, préapprouvés ?)
- Une whitelist sera-t-elle mise en place (pré-sélection d’utilisateurs/investisseurs) ?
- Sera-t-il possible pour l’émetteur de créer de nouveaux jetons ou la « supply » est définitivement limitée ?
- L’émetteur pourra-t-il détruire (ou « burn ») des tokens dans le futur ?
Les diligences relatives au KYC / LBC-FT
Il n’existe pas d’obligations légales spécifiques imposés aux projets d’ICO concernant le LBC-FT. Seul l’article L. 561-2, 7° bis du code monétaire et financier prévoit qu’est assujettie aux obligations LBC-FT 7° bis :
- (i) « Les prestataires des services mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 54-10-2: i.e. ceux proposant les services suivants:
- service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ;
- service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ;
- service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ;
- l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques).
- (ii) les émetteurs de jetons ayant obtenu le « visa optionnel » mentionné à l’article L. 552-4 dans le cadre de l’offre ayant fait l’objet du visa et dans la limite des transactions avec les souscripteurs prenant part à cette offre.
En pratique, la majorité des projets d’ICO européens mettent en place des procédures d’identification des souscripteurs identiques à celles prévues par la 5ème directive européenne relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
En pratique, le KYC consiste à collecter les informations suivantes:
- Personnes physiques:
- Identité et vérification de selfie
- Questions relatives à la compréhension des actifs digitaux et des risques
- Déclarations (ex. origine des fonds)
- Interview vidéo
- Vérification de signature
- Personnes morales
- Documents officiels d’identification
- Information sur les dirigeants
- Information sur les bénéficiaires effectifs
- KYC individuel pour les principaux actionnaires, dirigeants
Marketing de l’opération d’ICO : les conditions générales de vente
Lors de la création du site internet de l’ICO, il conviendra d’établir des CGV régissant les relations contractuelles entre l’émetteur et l’investisseur qui tiennent lieu de loi entre les parties (C. civ. Art 1125).
Elles prévoient l’ensemble des modalités qui encadrent la vente:
- Modalités de paiement (crypto/FIAT, taux de conversion)
- Existence éventuelle d’une pré-vente
- Prix plancher de l’ICO
- Le séquestre
- Cas éventuels de restriction de la souscription du token
- Cas de restitution des cryptomonnaies
- Cas de force majeur
- Certification du caractère exact, clair et non trompeur de l’information divulguée dans le livre banc
- Le droit applicable et le tribunal compétent en cas de litige
Une vigilance particulière doit être mise en œuvre quand l’investisseur est un consommateur :
- Absence de clauses abusives, e.g. clauses d’exonération de la responsabilité des dirigeants, clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties réputées non écrites.
- Les consommateurs bénéficient d’un droit de rétractation concernant sa souscription de token jusqu’à 14 jours après la vente (C. consom. Art. L 221-18).
Mentions légales obligatoires
Elles doivent être intégrées au site internet. Elles doivent comprendre la raison sociale, forme juridique, adresse du siège social, montant du capital social, adresse email et numéro de téléphone, numéro d’inscription au RCS, nom du directeur de la publication et les coordonnées de l’hébergeur du site (nom, dénomination ou raison sociale, adresse et numéro de téléphone), et les conditions générales de vente.
Sanction (C. consom. Art. L131-4): « Tout manquement aux obligations d’information mentionnées à l’article L. 111-7 en matière d’activité de mise en relation par voie électronique est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale. Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V. ».
Politique de confidentialité
Les porteurs de projet doivent établir une politique de confidentialité permettant à l’investisseur d’être informé de l’identité du responsable de traitement, de la finalité poursuivie, du caractère obligatoire ou facultatif des réponses, des conséquences éventuelles d’un défaut de réponses et des destinataires des données, et inclusion des mentions obligatoires issues du règlement général de la protection des données.
Les sanctions sont une amende de 2% ou 4% du montant du chiffre d’affaires mondial.
Pré-vente / vente de jetons
Lorsque toutes ces étapes sont franchies, l’ICO pourra être matériellement exécutée. Différentes étapes pourront intervenir:
- Etape 1: une vente préalable à la vente peut être ouverte par l’émetteur au profit de certains souscripteurs, souvent avec un ticket minimum.
- Etape 2: vente des jetons sous réserve d’acceptation du KYC sans ticket minimum, les fonds étant collectés par le biais d’une adresse publique de l’émetteur (« soft cap » i.e. montant minimum nécessaire à la réalisation du projet entrainant un remboursement s’il n’est pas atteint ou « hard cap » i.e. montant maximum arrêtant la vente).
- Etape 3: séquestre des fonds, obligatoire pour l’obtention d’un VISA, qui peut avoir lieu auprès d’une banque, d’un compte CARPA dont un cabinet aura la gestion, mise en place d’une fiducie etc.
Fiscalité d’une ICO en société
La fiscalité dépendra de la nature du jeton émis, selon qu’il soit considéré comme un jeton utilitaire (« utility token ») donnant accès à des biens ou services ou un jeton financier (« security token ») donnant accès à des droits financiers à l’instar d’un instrument financier classique.
Utility token | Security token | |
Comptablement | Bilan: Inscription des sommes reçues à l’actif en autres actifs immobilisés, autres valeurs mobilières de placement ou en compte de trésorerie s’il s’agit de valeurs monétaires, avec une contrepartie au passif en produits constatés d’avance (inscription du chiffre d’affaires à l’avancement). Compte de résultat: Aucun impact pour les jetons représentant des prestations ou biens restant à fournir. | Bilan: Inscription des sommes reçues à l’actif (en compte de trésorerie ou autre actif immobilisé s’il s’agit de valeurs monétaires ou de cryptoactifs) avec une contrepartie au passif en dettes. Compte de résultat: Aucun impact |
Fiscalement | La comptabilisation en produits constatés d’avance permet de n’acquitter l’impôt sur les sociétés que progressivement en fonction de l’évolution de la roadmap technique de l’ICO et de l’utilisation effective des tokens par les souscripteurs. | Aucun impact immédiat en matière d’impôt sur les sociétés ou de TVA Imposition des plus-values ultérieures sur les cryptomonnaies détenues dans les conditions de droit commun. |
Quant aux souscripteurs personnes physiques, ils seront imposés soit (i) à la flat tax de 30% avec sursis d’imposition s’ils s’agissent en tant que particuliers ou (ii) dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux s’ils s’agissent à titre habituel en tant que professionnel.
Conclusion
La réalisation d’une ICO répond à des étapes précises qu’il convient de respecter. De trop nombreuses ICO sont réalisées de manière trop hâtive, parfois même sans création d’une société au préalable. Le non respect des obligations récapitulées ci-dessus et l’absence de création d’une structure au préalable fait peser sur les porteurs de projet un risque d’amendes non négligeable. Par ailleurs, l’absence de structure ou de pacte d’actionnaires fait peser un risque juridique et financier parfois colossal entre les porteurs de projet.
Nous vous renvoyons à notre article traitant des risques liés à la réalisation d’une ICO sans société: https://www.journoud-avocats.fr/incidences-fiscales-dune-initial-coin-offering-ico-realisee-sans-societe/
Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions et vous assister dans le cadre de la réalisation de votre ICO.