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Les levées de fonds ont atteint des performances records en 2021 et 2022. En 2023 leur rythme et volume ont subi un ralentissement prononcé. Cependant, le financement des startups françaises fait preuve de résilience.
Dans le cadre de leurs levées de fonds, il est crucial pour les entrepreneurs de comprendre l’importance de structurer efficacement leurs opérations au niveau juridique. Ils doivent se concentrer notamment sur la formulation de leur pacte d’actionnaires (ou pacte d’associés). Il est un composant essentiel pour définir les futures interactions entre investisseurs.
En effet, un pacte mal rédigé pourrait entraîner de très fâcheuses répercussions financières pour les investisseurs. La situation est encore pire si aucun pacte n’a été rédigé, car souvent les fondateurs négligent cet aspect.
Cet article offre un aperçu des normes du marché concernant le pacte d’actionnaires dans le cadre des levées de fonds.
Table des matières
ToggleLe pacte d’actionnaires : un élément fondamental des levées de fonds
Le pacte d’actionnaires est, en toute hypothèse, un outil incontournable et obligatoire des levées de fonds. Il est fondamental pour régir les conditions d’entrée des investisseurs au capital de la société. Contrairement aux statuts, souvent très sommaires, il n’est pas public ce qui assure une confidentialité aux associés.
Modalités de fonctionnement
Un pacte d’actionnaires a pour but d’encadrer les relations entre les futurs associés notamment sur les sujets suivants:
- Les modalités de gouvernance,
- l’encadrement des transferts des actions,
- gérer les évènements de liquidité,
- octroyer un avantage de fidélité pour les fondateurs au capital et,
- plus généralement, d’aligner les attentes entre actionnaires pour faciliter la relation future et anticiper (au mieux) d’éventuels conflits.
Les avantages par rapport aux statuts sont nombreux. Contrairement à ces derniers, le pacte d’actionnaires est un document extra-statutaire. Ce n’est qu’une faculté pour les actionnaires. Il est également confidentiel à l’égard des tiers contrairement aux statuts qui sont publics auprès du greffe. Il reflète la négociation contractuelle sur-mesure entre actionnaires qu’ils souhaitent garder à l’abri des regards extérieurs. En revanche, le principal désavantage est que ce document n’est pas opposable aux tiers puisqu’il ne fait l’objet d’aucune publicité.
Il convient de noter que tous les actionnaires ne sont pas nécessairement parties au pacte. Les actionnaires les plus importants auront la nécessité de prévoir un pacte d’actionnaire complet et détaillé. Par exemple, les clauses relatives à la gouvernance ou aux conditions de sortie seront nécessaires. Quant aux minoritaires, ils se contenteront d’un « mini-pacte » reprenant les principales clauses du pacte principal. Cela permettra aux associés majoritaires de modifier le pacte principal sans requérir l’assentiment de l’ensemble des associés.
La matérialisation des intérêts entre investisseurs et fondateurs
Dans certains cas, les futurs associés ont des intérêts communs. Par conséquent, un pacte basique pourrait, dans un premier temps, leur convenir. Ce sera par exemple le cas entre fondateurs avant toute opération de levée de fonds. Il aura principalement pour but de matérialiser l’implication des fondateurs avec des règles à respecter en cas de départs ou de conflits entre eux. Fixer à l’avance les conditions de sortie assurera de minimiser les conflits futurs. Par ailleurs, la simple existence du pacte renforcera la crédibilité et la sécurité juridique du projet pour de futurs investisseurs.
Cependant, souvent, les intérêts sont divergents et dépendent de la typologie des investisseurs. Le pacte d’actionnaires assure cet objectif: celui retranscrire les attentes de deux typologies d’associés, les investisseurs et les fondateurs. En effet, les investisseurs seront principalement intéressés par régir leur horizon de liquidité. Ils souhaiteront également s’assurer de l’implication des fondateurs et équipes opérationnelles en prévoyant une incessibilité ou des clauses de sortie. Cette négociation permet d’assurer que l’intérêt de toutes les parties prenantes soient alignées.
Les fondateurs comprendront rapidement une chose au cours des négociations. Les intérêts de leurs investisseurs varient en fonction de leur typologie (fonds d’investissement, family office, corporate venture etc.).
Les clauses les plus fondamentales des pactes d’actionnaires
Nous nous limiterons à détailler ci-dessous les clauses qui impliquent le plus de discussions entre les fondateurs et les investisseurs lors d’un tour de financement.
Nous n’aborderons pas en détail, par exemple, les clauses suivantes :
- les clauses d’agrément ou de préemption.
- la « clause de sortie conjointe », consistant à prévoir qu’en cas de cession de tout ou partie de ses titres par l’un des associés de la société au profit d’un acquéreur déterminé, les autres associés auront un droit à céder tout ou partie de leurs titres à ce même acquéreur, en principe aux mêmes conditions, notamment de prix que celles proposées par l’acquéreur envisagé.
- la « clause de sortie forcée », qui a pour objectif, en cas d’offre de rachat émanant d’un tiers et portant a minima sur un nombre de titres suffisant pour exercer un contrôle sur une société déterminée, qui serait adressée à un ou plusieurs associés de ladite société, à forcer les autres associés à céder leur titres au tiers offrant.
- les clauses de financement, prévoyant que les associés s’engagent à procéder à des apports d’argent à la société selon un calendrier et dans des proportions à déterminer.
- la clause de « contrôle de holding », qui a pour objectif de s’assurer que lorsqu’un associé détient sa participation dans le capital de la société via une société holding (et non directement), il ne transfère pas le contrôle de cette holding à un tiers.
- Les clauses relatives aux dividendes, par exemple celle obligeant de voter un dividende chaque année dans certaines conditions.
Les clauses encadrant la gouvernance de la société
Lorsque de nouveaux investisseurs entrent au capital d’une startups, ils souhaitent bénéficier d’une influence sur les principales décisions stratégiques.
Cela se matérialise par la mise en place d’un « comité stratégique » (ou « board »). Ce comité aura pour vocation à échanger sur la stratégie et voter l’approbation préalable de certaines décisions les plus importantes. Ainsi, seules seront votées en assemblée générale les décisions préalablement validées par ce board. Ces décisions peuvent concerner par exemple:
- la vente de la société ou d’actifs stratégiques (immobilier, participation, etc.),
- ou valider par exemple (i) une réorganisation (e.g. une fusion, etc.), un emprunt important ou (iii) un investissement significatif.
Cependant, les fondateurs et investisseurs devront veiller à trouver un point d’équilibre. En effet, les fondateurs doivent garder une agilité opérationnelle. Par ailleurs, les investisseurs auront tout intérêt à ne pas multiplier les réunions du board. Enfin, pour ces derniers, ils devront garder à l’esprit qu’une implication trop importante pourrait avoir pour conséquence de les requalifier en dirigeant de fait. Ils s’exposeraient si tel devait être le cas à engager leur responsabilité en cas de faute de gestion.
En pratique, le board devrait refléter la répartition du capital. Il est ainsi plus que recommandé de ne pas l’ouvrir à un nombre de membres trop élevé. Il doit en effet rester cohérent et fluide. En pratique, il ne devrait pas être composé de plus de 5 membres.
Les clauses assurant la protection des investisseurs
L’objectif principal des investisseurs est de sécuriser au maximum leur investissement dans la société via diverses clauses.
L’émission d’actions de préférence
Les investisseurs exigeront souvent la création puis l’attribution à leur profit d’actions de préférence. Les actions ordinaires classiques ne donnent accès qu’au capital et à des droits de vote en proportion du montant détenu. En revanche, les actions de préférence disposent de droits supplémentaires qui leur sont attachés. Presque tout est envisageable. Les investisseurs disposeront ainsi d’avantages qui peuvent être divers:
- droit à un dividende préférentiel ou majoré,
- droit de vote multiple pour certaines décisions ,
- clause de liquidation préférentielle (voir ci-après),
- droit d’information renforcé, etc.
L’émission d’actions de préférence est lourde juridiquement. Elles doivent être mentionnées dans les statuts et nécessitent l’intervention d’un commissaire aux avantages particuliers. Ainsi, en pratique, il a été imaginé des actions de préférence contractuelles sous forme d’actions ordinaires labellisées et figurant uniquement dans le pacte d’actionnaires (et non dans les statuts).
La clause de liquidation préférentielle
Cette clause a pour but de protéger les investisseurs. En effet, souvent ils exigent d’être servis en priorité si des sommes sont distribués aux actionnaires. Cela sera le cas lors de la sortie d’actionnaires au capital de la société (rachat, entrée en bourse, procédure collective, etc.).
Il existe plusieurs types de clauses de liquidation préférentielle, de la plus limitée à la plus avantageuse. Leur intensité dépendra de la négociation et du rapport de force entre investisseurs.
En premier lieu (« non-participating »), la clause peut prévoir de servir les investisseurs concernés en priorité jusqu’au montant qu’ils ont investi dans la société. Ce sera le cas si les sommes distribuées sont inférieures au montant investi par les investisseurs.
En second lieu (« participating »), la clause peut prévoir d’attribuer aux investisseurs concernés une partie du produit distribué une fois leur investissement initial récupéré en priorité.
Enfin, elle peut leur permettre de recevoir en priorité un multiple de leur investissement initial (x1, x2, x3 etc.) à l’occasion de cette sortie.
La clause de liquidité ou de « rendez-vous »
Cette clause permet aux investisseurs (souvent un fonds d’investissement) de déclencher un processus de vente de la société à l’issue d’une certaine période. Cette période est souvent d’environ 5 ans.
S’ils n’arrivent pas à imposer une telle clause aux fondateurs, il est également possible de prévoir une clause de « rendez-vous ». Elle imposera de discuter, à l’issue d’une certaine période, des modalités de sortie des investisseurs.
La clause anti-dilution
Elle octroie à leurs bénéficiaires la faculté de participer à une augmentation de capital future.
Ils pourront ainsi, s’ils le souhaitent, maintenir le niveau de leur participation en pourcentage dans le capital de la société.
Le « ratchet » pour se prémunir d’un « down round »
Cette clause courante a pour objectif de protéger les investisseurs d’une dilution en cas de tour de financement ultérieur. Elle interviendra si ce tour se réalise à une valorisation inférieure à la précédente levée. En effet, dans ce cas les nouveaux investisseurs auront un pourcentage supérieur dans la société à investissement égal.
Elle permettra aux primo-investisseurs de souscrire à de nouvelles actions (par le jeu de bons de souscription d’actions dits « ratchet » – ou « BSA ratchet ») lors du ou des prochain(s) tour(s) à leur valeur nominale pour assurer la correction de la valorisation de leur participation, en cas d’opération dilutive ultérieure à un prix inférieur au prix du tour initial.
Trois formules de ratchet existent sur le marché :
- le full-ratchet : qui permet de ramener le prix moyen de souscription des actions au prix du nouveau tour.
- le narrow-based weighted average ratchet : correspondant à la moyenne pondérée du prix du premier tour et du prix du nouveau tour sans tenir compte des actions émises antérieurement lors de la première levée de fonds.
- le broad-based weighted average ratchet : qui est une moyenne pondérée du prix du premier tour et du prix du nouveau tour en tenant compte des actions émises antérieurement lors de la première levée de fonds.
En pratique, cette clause trouvera particulièrement son utilité dans un contexte de baisse de valorisations des startups.
La clause « droit de suite »
Ce droit permet à un associé qui aurait cédé ses titres à un autre associé de percevoir un complément de prix si, ultérieurement à cette opération de cession, l’associé cessionnaire a revendu les titres qu’il avait racheté à l’associé cédant « initial » pour un prix supérieur à celui qui avait été retenu dans le cadre de la cession initiale.
Un tel droit permet donc d’assurer un rééquilibrage dans l’hypothèse où l’associé cédant « initial » aurait vendu ses titres pour une valeur trop faible. La durée pendant laquelle ce droit peut être exercée est fixée librement par les parties au sein du pacte, étant précisé qu’en pratique elle dépasse rarement 6 mois.
Les clauses de fidélité à l’égard des fondateurs
La clause de « lock-up » ou « d’inaliénabilité »
Il s’agit d’une clause restreignant la cessibilité des actions détenues par les fondateurs pendant une période déterminée. Elle est généralement de 5 ans maximum.
Une telle clause rédigée ainsi est très contraignante pour les fondateurs. Ainsi, il est assez courant de prévoir une clause adoucie leur prévoyant de vendre une partie de leurs actions (jusqu’à 20% généralement) à mi-parcours. Elle leur permettra de sécuriser une partie de leur patrimoine et matérialiser la réussite du projet dans leur vie personnelle.
Le champ d’application de cette obligation d’inaliénabilité temporaire pourra être plus ou moins large selon la négociation. Il sera ainsi possible, par exemple, de le limiter aux seules actions de la société ou au contraire, de l’étendre à tout type de valeurs mobilières donnant accès au capital, y compris à terme (ex : option de souscription d’actions), qui seront émises par la société.
La clause de « non débauchage » et « d’exclusivité »
Il est important de prévoir une telle obligation dans le pacte, qui s’appliquera aux fondateurs / associés exerçant des fonctions opérationnelles au sein de la société : (1) pendant la durée de leurs fonctions et (2) pendant un délai à déterminer qui commencera à courir à compter de la date de cessation des fonctions.
A cet égard, il ne faudra pas prévoir un champ géographique et temporel trop large pour cette obligation, afin que sa validité ne puisse pas être remise en cause devant les juridictions.
A ce titre, s’agissant du champ géographique, il pourra par exemple être limité à la ou aux régions au sein desquelles la société exercera son activité. S’agissant du champ temporel, il est usuel de prévoir un délai maximum de 2 ans à compter de la date de cessation des fonctions opérationnelles.
Par ailleurs, il est aussi courant de prévoir que ces associés opérationnels auront l’obligation de consacrer une partie importante, voire l’intégralité de leur temps, à l’exercice de leurs fonctions.
Enfin, il est opportun de décrire au sein du pacte le rôle opérationnel de ces fondateurs / associés dans la société.
La clause de « leaver »
Cette clause est généralement prévue en cas de départ du fondateur de la société. Ce départ peut intervenir pour diverses raisons (invalidité, démission, exclusion, etc.). Il sera forcé dans un tel cas de céder ses titres au profit des autres fondateurs, des investisseurs ou même de la société. Elle prend la forme d’une une promesse unilatérale de vente des actions (call option).
L’objectif principal est de ne pas laisser au capital un fondateur partant qui pourrait perturber le fonctionnement de la société dans le futur. Elle peut également amener à pénaliser financièrement ce fondateur en cas de cessation fautive de fonctions sur le prix de vente de ses actions.
Nous sommes à votre disposition pour vous assister dans le cadre de la négociation et la rédaction de votre pacte d’associés.