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Est-ce que les Français victimes d’escroquerie à la suite du transfert de fonds vers des plateformes de trading de cryptomonnaies frauduleuses peuvent se retourner contre leur banque ?
Deux décisions récentes viennent éclairer les chances de succès d’une action en responsabilité contre les banques lorsque les victimes ont perdu des fonds transférés à des escrocs pour l’achat de cryptomonnaies.
Tour d’horizon de ces deux décisions.
Cour d’appel, Versailles, 16e chambre, 25 Mai 2023 – n° 22/04991
Cour d’appel, Riom, Chambre Commerciale, 10 janvier 2024, n° 22/00844
Table des matières
ToggleRappel des obligations des établissements de crédit
Pour rappel, le banquier n’est pas tenu de s’immiscer dans les affaires de son client. Il est libre de réaliser de mauvaises décisions financières. Cependant, il est soumis à des obligations de conseil, d’information et surtout de vigilance.
Son devoir de vigilance est limité à la détection des seules anomalies apparentes. Elles peuvent être matérielles lorsqu’elles affectent les mentions figurant sur les documents. Elles sont intellectuelles lorsqu’elles portent sur la nature des opérations effectuées par le client et le fonctionnement du compte.
Régulièrement, des personnes peu averties (et parfois directement sollicitées par les escrocs) sont attirées par des promesses de rendements abracadabrantesques. Ils transfèrent alors des sommes importantes (très souvent toutes leurs économies) à des plateformes fictives situées dans des contrées exotiques.
Mode opératoire des escrocs
Le mode opératoire est efficace et éprouvé.
Les futures victimes, d’abord méfiantes, font un premier virement peu significatif. Elles demandent le retrait des fonds assez rapidement après la réalisation des premières plus-values. Les escrocs vont bien entendu s’empresser de restituer les fonds.
Mise en confiance, la victime réalisera ensuite des virements beaucoup plus conséquents qui ne seront plus jamais restitués.
Comble de l’ironie, les victimes sont ensuite recontactées plusieurs mois plus tard par les mêmes escrocs, sous une identité fictive. Ils se présentent en tant que policiers ou agents d’administrations fiscales étrangères (par exemple le Royaume-Uni). Ils leur proposent alors de récupérer leur fonds (miraculeusement retrouvés), moyennant bien entendu le paiement d’une somme d’argent.
Pour les victimes, engager la responsabilité de leur banque est souvent le dernier espoir. En effet, les escrocs opèrent sous de fausses identités et les plateformes sont souvent situées dans des pays non coopératifs dans le domaine de l’échange d’information ou l’extradition et peu regardant financièrement (Seychelles, etc.). Il est donc presque impossible d’engager la responsabilité des auteurs.
Décisions
Des décisions récentes sont intervenues dans le domaine des cryptomonnaies pour réaffirmer une jurisprudence bien établie.
Dans une première affaire (Cour d’appel, Versailles, 16e chambre, 25 Mai 2023 – n° 22/04991), une victime a sollicité de sa banque Barclays le virement de presque 300.000 euros en neuf virements à une plateforme de courtage.
Dans une seconde affaire (Cour d’appel, Riom, Chambre Commerciale, 10 janvier 2024, n° 22/00844), un couple a vidé l’intégralité de son PEL (60.000 euros) et de son livret A (3.000 euros) auprès de ses banques (BNP Paribas et la Banque Postale) pour les transférer à une plateforme douteuse (Bitcoin International M.).
Arguments des parties
Les arguments des victimes pour engager la responsabilité de leur banque pour manquement à leur devoir de vigilance sont les suivants :
- La banque aurait dû informer les victimes des anomalies apparentes liées aux virements effectués en contribuant à la détection des flux financiers et à la sécurité des échanges économiques. Par exemple, si l’adresse de l’établissement bancaire destinataire des fonds et celle du bénéficiaire des fonds (la plateforme) est différente.
- Le fait que des virements soient rejetés une première fois par la banque aurait dû alerter cette dernière sur l’opération et aurait dû l’amener à informer le client de l’escroquerie.
- La banque aurait dû avoir conscience du caractère risqué des opérations.
Les banques considèrent qu’elles sont simplement tenues d’exécuter les ordres conformément aux instructions données. Leur obligation de vigilance viserait simplement à repérer les opérations de blanchiment d’argent et non les intérêts particuliers des clients.
Les victimes ont parfois gain de cause en première instance. En effet, dans une des affaires, le tribunal de première instance avait considéré que la multiplication des virements sur une courte période, pour des montants conséquents, nécessitant la clôture d’un PEL qui représentait pour partie les économies du couple, présentait un caractère inhabituel et caractérisait une anomalie apparente. Cependant, jusqu’à présent, les victimes sont largement déboutées en appel.
Décisions des Cours d’appel
Selon les deux décisions susvisées :
- Le devoir de surveillance est limité de la part de la banque à la détection des anomalies apparentes :
- La seule nature du virement, soit l’achat de bitcoins, ne suffisait pas à constituer une anomalie apparente puisque l’achat de bitcoins n’a rien d’illicite.
- Il n’y a pas d’anomalie apparente lorsque l’identité du donneur d’ordre ne fait pas de doute pour la banque.
- Le rejet d’un virement finalement accepté ne constitue pas une anomalie matérielle.
- Réaliser trois virements en moins d’un mois ne constitue pas une anomalie intellectuelle.
- Il est de la responsabilité seule des victimes de faire preuve d’imprudence en s’adressant à des sociétés de courtage non autorisées et en investissant toutes leurs économies sans obtenir suffisamment d’informations.
Cet arrêt confirme plusieurs jurisprudences passées. Il sera ardu pour les contribuables ayant perdu des fonds sur des plateformes de trading, que ce soit des cryptomonnaies ou des valeurs monétaires, d’engager la responsabilité de sa banque pour manquement à ses obligations contractuels d’information, de conseil ou de vigilance.
Cependant, les chances de succès doivent être évaluées en fonction des particularités de l’espèce. L’engagement de la responsabilité de la banque devra être dans certains cas étudiée et mise en oeuvre si les chances de victoire sont suffisantes.