Ronan Journoud Avocats

Pas d’atteinte à l’obligation de vigilance du banquier ayant autorisé des virements crypto vers des plateformes de trading

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Infirmant le jugement du tribunal du Puy-en-Velay (RG n° 20/00807), la Cour d’appel de Riom a rejeté la demande d’un particulier tentant d’engager la responsabilité de sa banque au motif qu’elle avait manqué à son devoir contractuel de vigilance en autorisant des transferts d’argent vers des plateformes de trading non autorisées.

Cour d’appel, Riom, Chambre Commerciale, 10 janvier 2024, n° 22/00844

Rappel des obligations des établissements de crédit

Le banquier teneur de compte n’est pas tenu de s’immiscer dans les affaires de son client. Il n’a pas, en principe, à effectuer de recherches ou à réclamer de justifications pour s’assurer que les opérations qui lui sont demandées par son client sont régulières, non dangereuses pour lui et qu’elles ne sont pas susceptibles de nuire à un tiers. Cependant, il est soumis à une obligation de vigilance concernant le blanchiment et le financement du terrorisme.

Ainsi, le devoir de non-immixtion trouve sa limite dans le devoir de surveillance du banquier. Cependant, ce dernier est limité à la détection des seules anomalies apparentes. Elles peuvent être matérielles lorsqu’elles affectent les mentions figurant sur les documents ou effets communiqués au banquier, ou intellectuelles, lorsqu’elles portent sur la nature des opérations effectuées par le client et le fonctionnement du compte.

Enfin, l’établissement bancaire n’est pas un conseiller en investissements. Il ne saurait être tenu de décourager son client de prendre des mauvaises décisions financières.

Faits

L’arrêt de la Cour d’appel de Riom en date du 10 janvier 2024 concerne un litige relatif à des virements bancaires effectués pour l’achat de cryptomonnaies sur la plateforme Bitcoins International M.

Un couple avait en effet réalisé plusieurs virements importants depuis leurs deux comptes bancaires chez BNP Paribas et La Banque Postale afin de pouvoir souscrire à l’investissement en cryptomonnaie qui leur était proposé.

Chez BNP Paribas, les époux ont procédé à la clôture de leur PEL. Ils ont ensuite procédé aux 4 virements suivants :

  • 2 décembre 2017 : 6 853 euros
  • 7 décembre 2017 24.998,26 euros
  • 13 décembre 2017 : 16.776 euros
  • 4 janvier 2018 : 10 .000 euros

Chez La Banque Postale, ils ont effectué le 28 novembre 2017 un virement de 2 400 euros depuis leur livret A afin de pouvoir procéder le même jour au virement d’une somme de 6 853 euros à destination de la société Bitcoins International M.

Procédure

Décision du tribunal de première instance

Le tribunal de première instance a rejeté les demandes des époux contre La Banque Postale et a partiellement retenu la responsabilité de BNP Paribas, condamnant cette dernière à verser 500 euros de dommages et intérêts pour perte de chance de ne pas réaliser les virements.

Il est intéressant de noter que le tribunal avait:

  • considéré que la seule nature du virement, soit l’achat de bitcoins, à partir des comptes ouverts à la Banque postale ne suffisait pas à constituer une anomalie apparente puisque l’achat de bitcoins n’a rien d’illicite et que l’élément d’extranéité n’est pas inhabituel en la matière. Il a également souligné le fait que le montant de 6.853 euros n’était pas excessif.
  • considéré en revanche, concernant les sommes virées à partir des comptes ouverts auprès de la BNP Paribas, que la multiplication des virements sur une courte période, pour des montants conséquents, nécessitant la clôture d’un PEL qui représentait pour partie les économies du couple, présentait un caractère inhabituel et caractérisait une anomalie apparente. Il a jugé qu’il appartenait à la banque en application de son devoir de vigilance d’attirer l’attention de ses clients sur les risques encourus en cas de réalisation de telles opérations.

Les époux ont fait appel de cette décision.

Moyens d’appel

En appel, ils demandèrent à la cour d’infirmer la décision du tribunal concernant La Banque Postale et de confirmer la responsabilité de BNP Paribas, en les indemnisant respectivement de 52.708,26 euros et 6.853 euros pour manquement à leur obligation de vigilance.

Ils invoquaient une faute contractuelle reposant sur le contrat auquel l’exécution des virements se rattache. Selon eux, le virement fut rejeté une première fois sans que la Banque Postale ne les informe des risques d’escroquerie. Par ailleurs, elle aurait dû obtenir un accord écrit de la part des époux pour le second virement. Par ailleurs, la société BNP Paribas aurait failli à son devoir de vigilance. En effet, selon eux (i) il n’y avait aucun doute sur l’utilisation des fonds, (ii) certains virements ont été rejetés, (iii) la BNP Paribas avait connaissance du caractère risqué des opérations, (iv) la discordance entre l’adresse de l’établissement bancaire destinataire des fonds (situé en Pologne) et celle du bénéficiaire des fonds (situé en Hongrie) aurait dû alerter la banque qui a rejeté un ordre de virement du 21 décembre 2017.

La Banque Postale et BNP Paribas demandèrent quant à eux la confirmation du jugement de première instance. Selon elles, les virements n’étaient pas anormaux et le couple avait agi imprudemment.

Décision

La Cour a confirmé le jugement en ce qui concerne le rejet des demandes à l’encontre de La Banque Postale et a infirmé la décision du tribunal concernant BNP Paribas, déboutant les époux de l’intégralité de leurs demandes contre cette banque.

Selon la Cour, les deux banques n’ont commis aucune faute dans le cadre de leur obligation de vigilance. Les virements effectués par les époux ne présentaient pas d’anomalie apparente qui aurait dû alerter les banques.

En effet, selon la Cour:

  • L’identité du donneur d’ordre ne pouvait faire de doute pour la Banque car les demandes émanaient des titulaires du compte;
  • Le rejet d’un virement de 10.000 euros finalement accepté ne constitue pas une anomalie matérielle ;
  • L’objet du virement (« achat M. L. ») ne précisait pas qu’il était destiné à l’achat de cryptomonnaies. Les banques n’avaient pas à s’ingérer dans le choix des époux. Ils ne sont pas tenues de décourager leurs clients de prendre des mauvaises décisions financières.
  • Le fait que les époux aient réalisé trois virements en moins d’un mois ne constituent pas une anomalie intellectuelle.
  • L’ordre de virement a été fait à destination d’une banque polonaise pour l’achat de bitcoins pour une société hongroise. Ces deux éléments ne suffisent pas à caractériser une anomalie apparente.

En conséquence, les époux ont été condamnés à rembourser les sommes perçues. Ils doivent également payer les dépens de première instance et d’appel.

Cet arrêt confirme plusieurs jurisprudences passées. Il sera ardu pour les contribuables ayant perdu des fonds sur des plateformes de trading, que ce soit des cryptomonnaies ou des valeurs monétaires, d’engager la responsabilité de sa banque pour manquement à ses obligations contractuels d’information, de conseil ou de vigilance.

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